Les données scientifiques ouvertes : une approche critique et constructive

Par Gabriel Leblanc
Coordonnateur en gestion de données à l’OGSL

Les données ouvertes forment un concept dont on nous parle de plus en plus : de fait, plusieurs ministères et subventionnaires exigent maintenant que les données récoltées dans le cadre d’un projet de recherche financé par des fonds publics soient archivées sur des plateformes de diffusion de données, de manière à en permettre l’accès et la réutilisation publics – ou, autrement dit, à les rendre « ouvertes ». Et disons-le : mettre des données scientifiques en commun pour favoriser la compréhension collective et globale des écosystèmes et de leurs relations, et ce, dans une perspective de lutte aux changements climatiques, apparaît certes comme un objectif louable et noble, voire nécessaire. À mon sens, les données ouvertes se prévalent effectivement de valeurs publiquement partagées, comme la transparence et l’accès à l’information, et se prouveront foisonnantes dans le paysage prochain des sciences académiques et citoyennes.

Néanmoins, malgré son caractère vertueux qui semble d’emblée tomber sous le sens commun, le concept des données ouvertes ne fait pas complètement l’unanimité. Certaines critiques lui sont dirigées, mais leurs échos ne semblent pas résonner autant qu’il se devrait. Dans cet article, je souhaite donc brièvement présenter quelques limites du concept des données ouvertes, en reprenant des arguments déjà édictés : mon objectif n’est pas de faire le procès de la donnée ouverte – loin de là! – mais plutôt de réverbérer ces propos mentionnés, de manière à en faire un concept véritablement porteur, prenant en considération le regard de chacun. En gros, de contribuer à la construction d’un concept avant qu’il ne se fige et ne devienne l’expression exclusive de certains.

« Les données ouvertes sont des données numériques accessibles dont les caractéristiques techniques et juridiques permettent la libre utilisation, réutilisation et redistribution par quiconque, en tout temps, en tout lieu. »

  • Open Data Charter

Souveraineté des données autochtones

Un texte rédigé par Rainie et al. (2019) intitulé Indigenous Data Sovereingty illustre de façon probante cette idée que, malgré sa façade consciencieuse, le concept des données ouvertes ne fait pas l’unanimité. En effet, dès la première ligne du texte, on peut lire : « Les données ouvertes forment un lieu de tensions pour les peuples autochtones (p.300) », notamment parce que le concept en lui-même « n’a pas été développé avec leur participation (p.301) », faisant de ses visées « une confrontation directe avec le droit de ces populations de gouverner leurs données, incluant le droit de décider ce qui est partagé ou pas (ibid) ».

Tendre vers un idéal collectif implique nécessairement la participation active de toutes les parties prenantes, il va sans dire! Et cette recherche constante d’une participation intégrale représente, selon moi, le défi premier du secteur de la diffusion des données. Néanmoins, pour que tous puissent être entendus équitablement, il est nécessaire que ces « parties prenantes » soient, dès le départ, sur un même pied d’égalité. Et à cet effet, Rainie et al. notent que « les peuples et nations autochtones sont plus que de simples parties prenantes dans l’écosystème des données (p.307) » puisqu’ils ont le droit fondamental de « contrôler les données sur leurs peuples, leurs terres et leurs ressources (ibid) » tel que le stipule la Déclaration onusienne des droits des peuples autochtones (UNDRIP) ratifiée par le Canada.

De fait, lorsque des données sont mises en commun pour favoriser la prise de décisions collectives – ce qui, à toute fin rhétorique, constitue le fondement de la donnée ouverte –, celles-ci n’émanent généralement pas d’une volonté générale spontanée, mais plutôt de décideurs politiques, qui doivent trancher sur des choix parfois polarisants. Or, la notion de « décision collective » telle qu’employée pour promouvoir les données ouvertes demeure sujet à débat. Autrement dit, elle ne se réfère pas à la capacité qu’auraient des collectivités souveraines de prendre des décisions en fonction des informations rendues disponibles, mais plutôt à celle qu’a l’État de prendre des décisions pour les collectivités qui habitent le territoire qu’il couvre, dans le meilleur de ses capacités et de ses intérêts. De fait, « les parties prenantes ont divers intérêts envers les données autochtones et, parfois, sont en position de pouvoir les gouverner seules (p.307) ».

La question est donc hautement complexe puisqu’elle nous ramène obligatoirement à des enjeux historiques dont les répercussions sont encore en action. L’état actuel des rapports entre les « parties prenantes » est d’ailleurs nappé d’injustices étroitement liées à un passé colonial et à un déséquilibre du pouvoir qu’il nous faut intégrer à nos approches de concertation (Proulx et al. 2021). Le Aha Honua, une déclaration sur l’observation des océans issus du Coastal Indigenous Peoples, appelle d’ailleurs à la reconnaissance formelle des savoirs et savoir-faire traditionnels autochtones et à apprendre à respecter les différentes épistémologies (ibid), c’est-à-dire les différentes élaborations de la connaissance.

Il m’importe aussi de souligner que d’autres limites liées à l’univers des données ouvertes sont soulevées par différents groupes générant des données. Effectivement, ma fonction à l’OGSL me confronte à différentes sensibilités, exprimées notamment par la communauté académique. Les licences d’utilisation des données et l’attribution lors de leur réutilisation comptent au nombre des préoccupations que les gestionnaires de données devraient tenir en compte pour développer un climat sécuritaire de partage d’information. Ces autres limites, mais aussi la poursuite de la réflexion entamée dans cet article, feront l’objet d’un blogue futur, mais constitueront aussi la première discussion du Café Données, un événement en ligne accessible gratuitement auquel vous êtes chaudement invités.

Information sur le Café Données

https://tmq.ca/events/cafe-donnees-les-donnees-ouvertes-defis-et-opportunites/

Références

Rainie et al. (2019). « Indigenous Data Sovereignty (Chapitre 21) », tiré de The State of Open Data: Histories and Horizons, pp. 300 à 315.

Proulx et al. (2021). « Indigenous Traditional Ecological Knowledge and Ocean Observing: A Review of Successful Partnerships ». DOI : https://doi.org/10.3389/fmars.2021.703938

Date

2021/10/31
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